Orléans fut le théâtre d’un combat mené et perdu en 1845 par Prosper Mérimée contre les politiques d’alignement et pour sauver l’Hôtel-Dieu du vandalisme d’embellissement.
De ces batailles perdues contre les pouvoirs locaux, le fondateur du service forgea ce qui en résume jusqu’à aujourd’hui sa doctrine : le patrimoine français est d’intérêt national. L’implication des édiles d’Orléans dans les amendements successifs contre l’avis conforme (lancées dans un projet d’alignement destructeur au cœur de la ZPPAUP) prend donc une saveur particulière. Il sera tout à fait instructif de suivre l’actualité orléanaise.
Créé en novembre 2000, le site du Val de Loire Unesco, allant de Sully-sur-Loire à Chalonnes, atteint une taille inégalée en France1 . Dans cette aire géographique, la Mission Val de Loire, émanation de deux régions, joue un rôle d’animation et de promotion. Par essence, elle n’exerce pas d’autorité sur les collectivités, l’État demeure garant de l’intégrité du site au travers des ministères chargés de la Culture et de l’Écologie. Protégeant les châteaux, villes, villages ou sites, les protections réglementaires ne couvrent que 2 à 3 % du territoire concerné2 .
Une protection ambiguë
La protection au titre de « paysage culturel évolutif » s’avère ambiguë eu égard à la notion même de patrimoine. Depuis neuf ans, le label est surtout devenu attractif pour les promoteurs (phénomène croissant d’urbanisation des côteaux) et pour les édiles, qui se sont lancés dans des projets de “retour au fleuve” parfois désordonnés. Le projet d’aménagement des quais d’Orléans a nécessité en 2006 l’envoi d’une inspection conjointe des ministères de la Culture et de l’Écologie, après alertes de l’ABF et de la SPPEF. La notion même de patrimoine portuaire était ignorée. Le projet a été modifié de manière substantielle sous la conduite de l’ABF. Pire, aujourd’hui, des projets d’infrastructure3 ressortent, comme le pont de Combleux, vitrine du Val de Loire dans l’Orléanais, déclenchant les foudres de l’ICOMOS et de la presse nationale et internationale. Le projet de franchissement a été validé en juillet 2008 dans le cadre du SCOT de l’agglomération (alors qu’il avait été repoussé et le site classé en 1988). Les services régionaux du ministère en charge des sites ont cette fois validé le tracé. Seul le SDAP s’y est opposé4 . Après ce dernier épisode, le nouveau préfet du Loiret, coordonnateur de l’ensemble du Val de Loire, a annoncé en novembre 2008 la mise en place d’un plan de gestion. Ce plan fut l’occasion d’un débat stratégique entre les tenants d’une protection continue sur fond de site inscrit, et ceux de protections sélectives eu égard à la taille du site Unesco. Pour éviter de créer des vides et une différence de traitement entre les collectivités, la logique eût été, semble-t-il, de mêler les deux : un site inscrit global immédiat permettant d’étudier puis de mettre en place un chapelet de protections, dosées en termes réglementaires et d’emprise, selon leur qualité, du “naturel” le plus exceptionnel au paysage “banal”, bâti ou non. Le site inscrit n’eût été que transitoire. Cette solution ne fut pas retenue.
Le plan de gestion
Confié à la DIREN Centre5 , il a pour objet de définir les valeurs identitaires du Val de Loire, d’analyser les menaces et risques d’impacts, de donner une orientation pour une gestion partagée (État/collectivités)6 . Parmi ses actions spécifiques, l’État prévoit de mettre en place une série de protections réglementaires. Pour la région Centre, l’aspect opérationnel du plan de gestion restait cependant limité par les délais et procédures : l’élaboration de ZPPAUP est soumise au bon vouloir de chaque commune et prend plusieurs années.
Cet aspect du plan de gestion prendrait modèle sur le travail réalisé en Maine-et-Loire, département sur le point d’atteindre une protection continue du Val de Loire. Y alternent des sites classés, protections fortes et centralisées (avis ministériel) pour les sites naturels majeurs, et des ZPPAUP pour les villes et paysages courants, instruments souples nés de la décentralisation, fondés sur un pouvoir partagé avec les collectivités.
Les conséquences en cas de suppression de l’avis conforme
Sortir du jeu l’ABF, c’est évacuer l’architecte expert indépendant et l’expertise tout court. Même un chef-lieu régional comme Orléans ne dispose pas d’un équivalent à l’ABF dans son service de l’urbanisme. Quant aux autres communes. En supprimant les pouvoirs de l’ABF et du préfet de région (avec la suppression des recours), on déséquilibre tout le système. L’ABF régnera sur la couleur des volets d’un particulier tandis que la commune aura les mains libres pour démolir un quartier entier… Dans le cas du Loiret, le plan de gestion aurait pu aboutir à la création de deux sites classés, d’une vingtaine de zones de protection, voire d’un secteur sauvegardé.
Avec l’avis simple, plus de partage du pouvoir : il suffit d’appliquer le rêglement… Par définition, les ZPPAUP, particulièrement celles élaborées dans les grands centres anciens comme Orléans dans des délais et un “grain” sans commune mesure avec celui d’un secteur sauvegardé, ne règlent pas tout de manière draconienne. Elles se fondent sur une expertise quotidienne basée sur l’interprétation du règlement et sur le subtil rapport de pouvoir instauré par l’avis conforme. Les règles et recommandations sont donc dosées (réduites) en fonction de cette pratique. Ce mode de gestion est à l’origine de la souplesse et du succès des ZPPAUP.
Si le règlement gère le tout-venant (comme la fenêtre ou le ravalement), les grands choix d’urbanisme, les restaurations fines, les démolitions où la création, le grand paysage, requièrent l’expertise, fondée sur l’esprit de la règle, d’un architecte du patrimoine urbaniste indépendant. L’application des règles de ZPPAUP reste donc indissociable de l’avis conforme de l’ABF7 . Un avis consultatif revient à totalement déséquilibrer les rapports de force en faveur du patrimoine.
À Orléans, un an et demi après la création de la ZPPAUP du centre ancien, l’État abandonnerait les bords de Loire et du Loiret, trois sites inscrits, les abords de cent soixante monuments historiques (soit plus du tiers des monuments du département parmi les plus prestigieux) à la seule autorité municipale. La ZPPAUP du Loiret, créée en 1995, couvre en effet l’intégralité de cette résurgence de la Loire et est englobée dans le Val de Loire Unesco. Essentiellement paysagère, elle regroupe six communes, dont Orléans.
Un label dénué de sens
Pour se lancer dans une ZPPAUP, il ne resterait que les grandes collectivités désireuses de se libérer de la tutelle de l’État tandis que les petites communes soucieuses de préserver leur patrimoine, incapables de le porter seules techniquement et politiquement, y renonceraient. Sans ABF, il faudrait créer des règlements tellement restrictifs qu’ils en deviendraient inapplicables.
Depuis 1982, l’urbanisme en France est décentralisé, mais le patrimoine demeurait sous la protection de l’État. Les zones de protections, système souple issu de la décentralisation, fonctionnaient bien, la grande majorité des collectivités n’étant pas prêtes à les assumer seules.
Au lieu de la mise en place d’une protection continue et partagée du Val de Loire, la suppression de l’avis conforme de l’ABF rend vain le plan de gestion projeté et annonce l’abandon du contrôle de l’État au cœur du Val de Loire. Après Dresde et Bordeaux, cette régression (le Val de Loire est moins protégé qu’en novembre 2000) constitue un signal désastreux auprès des autorités de l’Unesco.
Fréderic Aubanton
Chef du SDAP du Loiret
Les dérapages corrigés par l’avis conforme
Les quais d’Orléans
Un concours, une étude historique de qualité mise sous le boisseau, un projet lauréat de Michel Corajoud qui ne respecte pas les contraintes établies par l’ABF, l’intervention de la SPPEF, une double inspection ministérielle. Un projet de compromis qui va dans le sens de l’Histoire et met en valeur le patrimoine du port d’Orléans, le plus grand et le mieux conservé du Val de Loire.
La renaissance du centre d’Orléans
Lors de la deuxième phase des ravalements obligatoires en 2002, l’implication du SDAP maniant la contrainte et l’exigence qualitative, partenaire d’une ville faisant bénéficier les particuliers de son investissement archéologique et financier, a permis de hisser les travaux vers de véritables restaurations obligatoires (notamment les pans de bois). De fait, Orléans, après l’échec du secteur sauvegardé (1962-1966), alors que dans la région Tours, Chartres, Blois et Bourges en sont dotées, a littéralement dévoilé son patrimoine urbain, créé une ZPPAUP en février 2008, et est devenue, en avril 2009, Ville d’art et d’histoire.
Dans le contexte actuel, espérons que ce label ne se transforme pas en épitaphe…
Menaces sur l’Orléanais
Le pont de Combleux
Le projet de franchissement a été validé en juillet 2008 dans le cadre du SCOT de l’agglomération (alors qu’il avait été repoussé, et le site classé en 1988). Situé en amont d’Orléans dans un paysage emblématique, sur le site de Combleux, village marinier placé à la jonction du canal d’Orléans et de la Loire, cet ouvrage se verrait imposer la hauteur d’un viaduc pour échapper aux plus hautes eaux…
La salle de sports de l’Ile Arault
En pleine zone inondable, le site de l’hippodrome, le seul bord de Loire exempt de construction dans la traversée d’Orléans, vient d’être choisi pour recevoir un vaste équipement sportif. Aujourd’hui, les PPRI ne protègent plus. Il suffit de hisser l’équipement au-dessus des plus hautes eaux. En le montant sur des échasses ? Quant à l’impact paysager, c’est une question d’interprétation.
Le tramway et la démolition de la rue des Carmes
L’Aggl’O a décidé le passage de la deuxième ligne de tramway au centre d’Orléans, sans étude historique préalable. En dépit de la ZPPAUP et des avertissements de l’ABF, au nom du développement durable, on aligne la plus vieille rue du parcours, impactant deux voies perpendiculaires, démolissant dix-sept maisons sur cent vingt mètres de longueur et quarante mêtres de profondeur.
Aucune des maisons n’est protégée en particulier mais la rue, issue du plus ancien tissu urbain d’Orléans, l’est pour sa valeur d’ensemble. Si le règlement permettait de démolir quelques maisons, selon leur intérêt architectural et les nécessités ponctuelles, il n’a pas été conçu pour raser l’intégralité du plus vieil axe d’Orléans ! Un problème d’interprétation sans doute ?
- Le Val de Loire Unesco couvre un linéaire de deux cent quatre-vingt kilomètres, deux régions (Centre et Pays-de-Loire), quatre départements (Loiret, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Maine-et-Loire), cent soixante communes, un million deux d’habitants. La surface du bien inscrit s’étend sur quatre-vingt cinq mille trois cent quatre-vingt-quatorze hectares, deux cent huit mille neuf cent trente-quatre hectares avec la zone tampon. ↩
- Les secteurs sauvegardés de Blois, Tours, Chinon, Langeais, Loches et Saumur, les zones de protection d’Orléans, de la rivière du Loiret, de Meung-sur-Loire (Cour-sur-Loire, Saint-Dyé, Candes-Saint-Martin, Chinon), les abords de trente monuments historiques, trente sites classés et vingts sites inscrits. ↩
- quatorze ponts, comme autant de mines, sont projetés sur le parcours Unesco ! ↩
- Aux derniers Rendez-vous du Val de Loire, à Blois. ↩
- « Préserver et valoriser le patrimoine et les espaces remarquables, maintenir les paysages ouverts du Val et les vues sur la Loire, maîtriser l’’étalement urbain, organiser le développement urbain, réussir l’intégration des nouveaux équipements, mettre en valeur l’approche et la découverte du Val de Loire », cf. doc DIREN Centre. ↩
- « Intégrer les enjeux paysagers dans les politiques publiques d’aménagement du territoire, dans la gestion du domaine public fluvial, promouvoir l’élaboration de plans de paysage, assurer l’évaluation régulière du plan de gestion », cf. doc DIREN Centre. ↩
- L’évocation ministérielle, présentée comme l’ultime rempart, a déjà fonctionné à Orléans (contre l’avis de l’ABF et le règlement de la ZPPAUP…). ↩